Mongo Beti est l’un des écrivains les plus prolifiques et les plus reconnus du Cameroun. Né sous le nom de Biyidi-Awala Alexandre, l’auteur est né en 1932, à Akométam près de Yaoundé. En 1953, il publie la nouvelle « Sans haine et sans amour » dans la revue Présence Africaine sous le pseudonyme d’Eza Boto. L’année suivante, « Ville cruelle » paraît aussi sous ce pseudonyme. Après la publication de cet ouvrage, Eza Boto sera meurtri par la réaction des autorités coloniales qui voient en lui un auteur activiste et engagé quand il traite des questions avant tout humanistes. Lui qui avait fait usage de divers surnoms au cours de sa carrière, n’utilisera plus ce pseudonyme. Le choix de l’oeuvre de Mongo Beti est lié à son exil pendant plus de trente ans dans la ville Rouen, où il a exercé comme professeur de français. Cet auteur incontournable de la littérature intellectuelle africaine n’a malheureusement pas trouvé de reconnaissance dans l’hexagone. La Normandie a également accueilli Leopold Sédar Senghor, autre figure marquante de l’histoire des relations africaines et française d’après-guerre. Les liens entre ces légendes de l’histoire culturelle africaine ne se révèlent que dans leur opposition intellectuelle. Pourtant, chacun à leur manière contribuait à penser l’Autre comme part entière de l’entité dans laquelle ils allaient vivre le restant de leur vie. L’histoire de Mongo Beti à travers son oeuvre, entre exil choisi et imposé, invite chacun à penser la construction artistique comme un temps révolté ou subi. L’auteur formaté par son éducation ne laisse transparaître aucune diatribe, mais plutôt ses influences religieuses. Biyidi-Awala Alexandre est devenu Eza Boto à cause des missionnaires. Eza Boto peut être traduit comme « ceux qui ne s’appartiennent pas, qui n’ont pas d’autonomie, ceux qui sont aliénés ». Qu’est-ce qu’une telle réappropriation transmet si ce n’est une interrogation sur la foi de l’auteur, plus sur l’aliénation de la toute forme pensée par des dogmes ? Tandis qu’il est à la recherche d’une reconnaissance littéraire, ses choix de publications anonymes interrogent. Comme chez beaucoup d’artistes contemporains cachant leur véritable identité, ou en quête d‘affirmation, Biyidi-Awala Alexandre se joue des lecteurs et de ses détracteurs, dans un véritable élan d’émancipation. La dissimulation et la multiplication des identités rendent compte de son usage de l’écriture comme d’une stratégie de dissidence face à l’autorité coloniale déclinante et l’apparition du post-colonialisme. Les multiples postures adoptées par l’écrivain constituent un ensemble d’indices interrogeant la notion d’engagement. De fait, l’artiste apparaît comme celui à même de questionner les représentations en cours, et de les confronter tant à leur vérité qu’à ce qu’il pense et ressent. Tout au long de l’histoire de l’art, des artistes ont adopté d’autres identités, par besoin de reconnaissance. Mais aussi, par nécessité d’exprimer des contradictions qu’impliquent une existence aux racines déplacées, aux territoires perdus, en diasporas ou en exil. L’oeuvre d’Eza Boto est bien celle d’une personnalité qui s’assume aussi à travers les postures des différents auteurs qui la compose. Elle revendique la complexité de son syncrétisme dans un contexte colonial difficile et imposé. Ce dissenssus au sein même de son travail révèle à quel point la définition par l’origine des artistes n’est que pure convention rhétorique. Elle nous apostrophe comme insuffisante ou mensongère. Bon nombre de créateurs, à l’instar de notre écrivain, rendent singulièrement sensible la nécessité de changer ces régimes de valeurs. Mongo Beti tout au long de son existence revendique une double appartenance, un positionnement qui, dans le passé jusqu’à aujourd’hui, reste un enjeu de la construction d’une identité collective. Bien au-delà de ses discours internationalistes, le théorème de l’engagement artistique était cher à cet exilé camerounais. La Clairière d’Eza Boto examinera cette notion et ses retombées chez les artistes contemporains.
« Ville cruelle » aborde sous un angle romancé la question de l’appartenance au territoire et sa définition entre ruralité et urbanité. Cette question des migrations locales est présente sur les territoires de tous les continents et en Normandie, elle trouve un écho par la désertification de plus en plus massive des zones rurales au profit de la ville. Tout au long du récit, le narrateur nous emmène dans un tourbillon de sentiments. Ainsi la ville est-elle le lieu de croisement des cultures, le carrefour de la diversité linguistique et et le centre de l’hybridité culturelle. La narration de l’auteur incite à une réflexion sur les concepts d’identités, de mémoires et de reconfigurations géopolitiques des territoires de l’art contemporain. Les régions normandes et françaises, en général, ont cette particularité de se définir en terme de « pays ». Combien de fois nous avons entendu : « Je rentre au pays » ? Que condense une telle notion pour les artistes africains?Mais également pour la population locale ? Aujourd’hui, il apparaît important de la redéfinir, dans le contexte toujours croissant de globalisation. Au cours de ce projet, nous porterons une attention particulière à cette redéfinition du «pays». Terme qui renvoie à la relation que nous établissons avec l’espace et, dans ce cadre, invite à penser la notion d’hospitalité. En ce sens, la représentation de la ville est un thème incontournable, particulièrement pour les artistes citoyens du monde – un autre positionnement dont s’est joué Eza Boto dans son parcours intellectuel -. C’est en nous appuyant sur cette filiation, que nous souhaitons ici montrer comment certains artistes contemporains ont su mettre en lumière les mutations sociales, culturelles à l’oeuvre dans les temps de déplacements et d’attentes des communautés. L’histoire de la Normandie est intimement liée au continent africain depuis le XIVème siècle. Dans son ouvrage Nouvelle Histoire de l’Afrique Française (1767) l’Abbé Demanet réclame la primauté de la découverte de l ‘Afrique des dieppois face aux autres conquérants : « En vain les Espagnols et les Portugais se disputent la première découverte de cette partie du monde, puisque les Normands, et surtout les dieppois, ont couru les côtes d’Afrique près d’un siècle avant que les Portugais songeassent à sortir de leur pays, et qu’il est prouvé que, vers le milieu du quatorzième siècle, ils avaient des établissements et un commerce formé à Rufisque, qui est à trois lieues de Gorée, et qui s’étendaient jusqu’au-delà de la rivière de Serré-Lionne dès l’an 1364 ». La ville moderne africaine est parfois l’objet de critiques de la part des intellectuels de la diaspora, depuis les indépendances. Cette condamnation de la modernité est due au fait qu’elle est le foyer même de la culture occidentale en Afrique. Elle est la résultante de conflits culturels parfois inclus dans la définition esthétique de certains des artistes. Cependant, Eza Boto, à son époque, questionne cette contemporanéité intrinsèquement héritée de son histoire personnelle. Dans le pamphlet d’Eza Boto, la ville désigne non seulement un centre où se concentrent les activités humaines telles que les constructions modernes d’habitats, les pratiques commerciales, politiques, le développement éducatif et industriel. Les territoires représentés dans ce parcours sont comme des villages. Pourtant, il serait erroné de juxtaposer les villes et villages d’Occident et d’Afrique, si ce n’est pour rendre compte d’un véritable passé commun entre les deux régions à travers cet auteur. Comment son héritage nous éclaire dans le contexte postcolonial actuel et les nouveaux enjeux socioculturels entre les deux continents? Il s’agira à travers le projet de rapprocher les problématiques communes propres à l’exode rural de ces territoires, pourtant très éloignés. « La clairière d’Eza Boto », envisage la migration non plus seulement comme un enjeu mondial mais une problématique locale à partir de laquelle il s’agit de repenser notre relation à l’autre. L’oeuvre d’Eza Boto aborde une double question dialectique portant sur les rapports entre individus, mais plus encore sur la difficulté de la rencontre de mondes antagonistes. Mongo Beti a construit son histoire personnelle dans le syncrétisme d’une double culture. Tout au long du roman, il oscille entre le « nous » et le « je ». Cette dualité s’impose comme une des réalités des sociétés contemporaines. « La clairière d’Eza Boto » présente également aussi bien des peintures, des dessins, des photographies, des sculptures, des vidéos, que des performances, des tapisseries et des installations. À travers cette diversité, c’est autant de facettes culturelles et artistiques qui sont explorées, répondant à des contextes différents, mais aussi à des enjeux transversaux : l’identité, le corps, l’environnement, l’héritage historique, la mémoire, le post-colonialisme, les migrations, le passé et l’avenir. Entremêlant avec force politique et poétique, les oeuvres ici exposées offrent autant de regards que d’artistes.